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La langue française en Algérie

Plan de l'article

La langue française en Algérie : comment le pays se débarrasse-t-il du français ?

Le journal Algérie Focus a fait état dernièrement d’une vieille polémique algérienne avec l’entraîneur de l’équipe nationale algérienne, Belmadi, à qui on a demandé lors de la Coupe Africaine de Football qui se déroule de ne pas s’exprimer en arabe mais en français afin qu’il soit compréhensible d’une plus grande partie de son auditoire. Son refus et la polémique qui en a suivi sont symptomatiques d’un vieux débat sur le nationalisme algérien dont l’identité s’est construit par rejet du français et promotion de l’arabe alors même que sa croissance intérieure et sa connexion internationale dépendent de l’usage du français.  

La décolonisation algérienne a rimé avec une arabisation des institutions et de la société du pays 

Le 5 juillet 1962, l’Algérie déclare son indépendance, déjà consacrée par les accords d’Evian qui ont mis fin à la guerre avec la France vis-à-vis de la domination coloniale exercée alors par les Français sur cette côte Nord-Africaine arabisée depuis plus d’un millénaire. Les Français ont ségrégué la société algérienne entre les populations, arabophones et berbérophones et musulmanes, et celles allochtones, majoritairement européennes, francophones et chrétiennes. La langue française est empreinte du souvenir douloureux de la colonisation pour la nation algérienne, notamment pour l’Algérie patriotique qui a combattu avec véhémence la poursuite de sa diffusion et de son utilisation en Algérie après sa prise d’indépendance. 

L’arabisation des institutions 

 Dès lors, l’arabisation de l’Etat, des services publics, de l’éducation est la priorité du premier gouvernement algérien en 1962. En effet, ce dernier émet le vœu de rayer la langue française de l’espace public et compte sur le soutien de l’arabe pour faire rayonner l’Algérie à travers le monde et poursuivre ses efforts. L’arabe est ainsi décrétée langue nationale et officielle tandis que d’autres dialectes, notamment le berbère, sont déclarés langues nationales sans être langues officielles et que le français, langue la plus parlée et écrite par les Algériens, est déclarée langue étrangère.  

Dans les années suivantes, cela s’est très bien vu dans l’éducation où le volume horaire dédié à l’éducation de la langue française dans les écoles primaires et secondaires algériennes n’a fait que baisser comme le décrit B. Zoubeida dans sa thèse “L’enseignement du français en Algérie : d’une situation de fait aux querelles de statut. En été 2019, les universités algériennes, très liées à celles françaises, tant sur le plan historique que sur celui académique ou encore sur celui institutionnel, ont annoncé que le français ne serait plus la seule langue d’éducation supérieure avec l’ajout de l’anglais. 

Malgré leur volonté de retrouver une indépendance linguistique, les Algériens ont toujours été dépendants du français notamment pour avoir des liens internationaux et des connexions à la modernité. Aujourd’hui, cela est clairement remis en cause face à la perte d’influence de la France sur le reste du monde, y compris sur ses anciennes colonies qui se tournent vers le plus offrant, comme les Etats-Unis et la Chine. 

L’arabisation de la société 

Face aux atrocités de la Guerre d’indépendance et à la genèse de la nation et de l’Etat algériens, une grande partie de la société algérienne a voulu se débarrasser du français. Seul l’arabe pouvait espérer entrer en compétition avec la force centralisatrice et institutionnelle de la langue française car elle rassemble tous les croyants musulmans et devient un ciment du passé pré-colonial de l’Algérie alors même que l’arabisation des sociétés, berbères notamment, avait longtemps été combattue dans l’Algérie pré-coloniale. On comprend bien que le seul effet bénéfique de la colonisation pour ces populations, sur le plan politique, fut certainement de prendre conscience de leur nationalité au travers notamment d’une langue commune, l’arabe. 

Après l’indépendance, on remarque que l’arabe reprend ses marques dans l’espace public, dans les rues, à la ville comme à la campagne (même si la langue française a moins impacté les espaces ruraux en Algérie). Le nom des enseignes, les panneaux de circulation, les publicités, toutes indications passent en arabe. Le français reste pourtant la langue de la modernité pour ses anciens espaces coloniaux qui n’ont eu accès à certains concepts et à certaines innovations qu’au travers de la langue française. L’arabe a dès lors fait beaucoup d’emprunts au français et constitue bien souvent un “arabe français” à sa sauce. 

Le maintien du français en Algérie : un mal nécessaire ? 

La langue française : le seul accès pour les Algériens à la modernité ?

L’arabe algérien a emprunté beaucoup au français pour exprimer toutes les innovations de l’Occident. Cet arabe est d’ailleurs bien différent de l’arabe parlé au Moyen-Orient mais ressemblera davantage à l’arabe parlé dans les espaces francophones notamment en Afrique, dans les anciennes possessions coloniales françaises. C’est d’ailleurs pour cela qu’on parle d’arabe français dans ses espaces francophones et arabophones où l’arabe emprunte beaucoup au français. 

La langue français pendant la colonisation a longtemps été vue comme un accès à la modernité pour les populations musulmanes d’Algérie. C’est notamment la raison pour laquelle elle se maintient après l’indépendance, comme un mal nécessaire au développement de l’Algérie qui ne perçoit alors la modernité, la croissance, l’industrialisation, la mondialisation qu’au travers de la langue française et de son apprentissage. Cela donne naissance à une francophilie algérienne, à la fois ambivalente et paradoxale, très bien décrite dans un article de J. Zenati dans la revue Mots. Les langages du politique, “L’Algérie à l’épreuve de ses langues et de ses identités : histoire d’un échec répété.”

La francophilie algérienne 

On retrouve de nombreux Algériens relativement francophiles du fait des relations que l’Algérie a pu entretenir avec la France durant son passé colonial. Dans cette francophilie algérienne, on remarque le comportement d’individus opportunistes qui voient dans le français un moyen d’accéder à une meilleure éducation, à des métiers dont ils rêvent, à un meilleur niveau de vie et à de meilleures positions socio-économiques et politiques. Encore aujourd’hui, nombreux sont les Algériens qui ont recours à des formations orthographiques en ligne tels qu’OrthographIQ pour s’assurer un bon niveau de maîtrise du français dans le monde professionnel.

On retrouve d’ailleurs les mêmes logiques à l’échelle étatique et nationale. Les dirigeants algériens ont des relations schizophrènes avec la langue française : ils parlent, ils ont souvent étudié en France, ils en ont besoin mais la renient et la combattent au nom d’une Algérie patriotique. Cela explique que le français soit encore enseigné à l’école mais que les réformes de l’éducation algérienne tentent à chaque fois d’alléger son volume horaire. 

En réalité, l’Etat algérien sait qu’il a besoin du français pour être compétitif et échanger au niveau mondial même s’il s’est aussi rendu compte qu’il pouvait de plus en plus le délaisser en favorisant l’apprentissage de l’anglais. La langue anglaise est devenue un nouveau moyen de se débarrasser du français comme langue dominante en Algérie et ainsi d’arrêter cette francophilie algérienne, à la fois tue officiellement et promue officieusement. Les Algériens entretiennent malgré tout des relations diverses avec la France, plus seulement d'opportunités économiques, mais également sociales et familiales, où une grande partie de l’immigration et des descendants d’immigrés sont algériens ou d’origine algérienne.

La langue française en Algérie et en France : comment les Algériens se sont appropriés et ont redéfini le français ?

Transferts culturels et rejet du français

L’immigration française en France est ancienne, datant du début du XXème siècle et a longtemps été caractérisée par un rejet de « l’Arabe » par les Français et par un refus de la langue française par les Algériens. Les Algériens immigrés en France ont donc longtemps refusé le français perçu comme langue du colonisateur, renforçant ainsi l’arabe comme langue commune aux Algériens qui parlent alors souvent des dialectes différents, parfois éloignés linguistiquement de l’arabe. Ils se sont bien débarrassés du français pour se construire une identité commune algérienne par opposition aux Français, identité qu’ils n’avaient pas en Algérie.

Au travers de l’histoire migratoire algérienne en France, étudiée dans sa relation au français par M. Achouche dans La situation sociolinguistique en Algérie : langues et migration, on assiste à la constitution d’une nation en dehors de son territoire d’origine, autour du rejet du français et de la promotion de l’arabe. Rien d’étonnant donc que le premier mouvement indépendantiste ait pris sa source à Paris en 1931, sous le nom d'Étoile Nord-Africaine. Dès lors, se produisent des transferts culturels de la France vers l’Algérie par l’intermédiaire des migrations algériennes qui voient bien qu’il faut se débarrasser du français pour promouvoir la nation algérienne. 

Le français ayant été un mal nécessaire pour le développement d’une Algérie fraîchement indépendante et dont la nation s’est construite par opposition à la France. La France fait donc partie intrinsèquement de sa naissance nationale, l’arabe n’a pu se construire sans le français. Seulement, maintenant, il semblerait que le français ne puisse pas non plus continuer à évoluer sans l’arabe. 

L’arabisation du français par la domination culturelle du rap 

L’importance de l’immigration algérienne en France a pour effet principal de bouleverser les mentalités françaises vis-à-vis de la colonisation, du racisme et de la xénophobie. Cela se traduit dans la langue : premièrement, il y a une volonté des Français d’adapter leur langue à ces populations immigrées et de les intégrer au projet de la République française dans un discours officiel qui s’enfonce bien souvent dans le politiquement correct. On assiste depuis une cinquantaine d’années à la disparition du vocabulaire français raciste qui véhiculait et véhicule encore des mentalités et des clichés coloniaux et anti-républicains qui ne permettent pas l’intégration des populations immigrés notamment celles algériennes très présentes dans ces clichés linguistiques du fait des tensions historiques entre la France et l’Algérie. L’Algérie n’aura eu de cesse, non pas de se débarrasser du français mais de débarrasser le français de ses clichés racistes. 

On assiste également depuis ces cinquante dernières années à l’appropriation du français par les immigrés arabophones. Ces derniers, notamment algériens constituent un pont au sein de la francophonie mondiale, puisqu’ils entretiennent de nombreuses relations avec leurs pays d’origine. L’Algérie, par l’intermédiaire de ses émigrés, s’est approprié la langue française et en a redéfini les codes au travers des mixtes linguistiques, arabophones et berbérophones, pour qu’elle soit utile à l’échelle mondiale entre les populations francophones. 

Cela est d’autant plus prégnant depuis l’éclosion du rap comme phénomène culturel multidimensionnel majeur en France et au sein de l’ensemble de la francophonie. Cela a permis de mettre au premier plan l’arabe dans la langue française et influence énormément son évolution comme en témoigne l’usage du français par les populations les plus jeunes en France. Ce parler arabe/algérien du français reste discriminant à l’embauche et dans de nombreuses situations du quotidien. Malgré sa domination culturelle actuelle, la langue française associée à l’arabe, effet des immigrés algériens qui ont successivement rejeté, apprivoisé, modifié, magnifié ou torturé le français, est loin d’avoir pénétré les élites françaises et provoque l’émergence de communautés françaises identitaires qui se veulent les défenseurs de la langue de Molière. Mais, en empêchant son évolution, en feront-ils une langue morte ?

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Publié le  
9/6/2022
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