Qui sont les étudiants en filières littéraires ?
1968. Paris. Sorbonne.
Les philosophes, femmes et hommes de lettres, de l’après-seconde guerre mondiale comme Sartre, Camus, Beauvoir, entre autres, ont infusé la société d’idées nouvelles : l’émancipation du patriarcat, la future société communiste et égalitaire, la fin de la colonisation. La jeunesse est en plein effervescence intellectuelle en 1968 et les filières littéraires, loin d’être boudées, sont prises d’assauts par de jeunes militants anarchistes ou pacifistes, anti-nucléaires ou contre la Guerre du Vietnam.
La période est pleine d’espoir de temps nouveaux et les filières littéraires bien remplies par des clopeurs qui tentent d’oublier les atrocités de la première moitié du XXème siècle en se tournant vers les lettres, la philosophie, l’histoire qui leur offrent un savoir qui leur servira à penser le monde de demain.
Mai 1968. Nanterre. Université de Nanterre. Ce sont les élèves des filières littéraires qui se sont mobilisés pour changer la société. Ils réussissent à motiver l’ensemble des filières littéraires parisiennes puis françaises puis l’ensemble du monde ouvrier qui lancera un des plus grands mouvements de grèves de son histoire. Les filières littéraires sont loin d’être boudées par les étudiants qui les voient comme le moyen de s’interroger sur soi et notre environnement, le moyen de bousculer l’archaïque patriarcat, le moyen de poursuivre les luttes contre les inégalités sociétales, le moyen d’être libre.
2021. Paris. Sorbonne.
Bruno, 21 ans, s’est réorienté vers les lettres. Sa première année d’éco-gestion, il a eu du mal à aller en cours : « les maths, franchement, c’est dépassé ! ». Sa première année de droit a été une catastrophe : « apprendre, c’est vraiment pas [son] truc ». Alors, il s’est souvenu de ses maîtresses du collège qui lui ont toujours répété qu’il avait une plume rigolote, tortilleuse. En plus, il s’est si souvent perdu dans les livres : ça le prenait tellement qu’il n’arrivait jamais à les finir.
En plus, les lettres, c’est devenu un bon plan ! Eh oui, après une licence, on peut facilement se réorienter vers un master de journalisme, de communication ou de marketing pour « avoir un vrai travail ». Un dernier mot, Bruno ? « Franchement, je vois pas comment les filières littéraires sont boudées avec autant de bonnes raisons d’y aller ! ». Merci Bruno.
Bilan ?
Je vous prie d’excuser la joie avec laquelle je me moque de Bruno, qui n’existe pas d’ailleurs, mais qui reflète une bonne partie des étudiants actuels en filières littéraires qui y vont car ils ne pouvaient pas aller autre part, en ayant peur du manque de débouchés à leurs issues. Ils n’ont plus aucune cause profonde d’aller en cours : il aura suffi d’un appétit incertain pour la littérature et d’une orientation douteuse en fin de terminale, le bac littéraire en poche, pour que ces étudiants embrassent les filières littéraires sur les bancs de l’université, alors qu’ils maîtrisent parfois mal la langue en elle-même. Ils feraient sans doute mieux de suivre la solution OrthographIQ qui vous propose une formation en ligne, courte et efficace, pour combler vos lacunes linguistiques et vous assurer ainsi un meilleur contrôle du français.
C’est donc bien fini le temps de l’Histoire à la Sorbonne où les étudiants se partageaient entre marxistes et fascistes qui se dévisageaient d’une rue à l’autre dans les cafés du quartier latin ou de la place Bellecour ou sur le Port de la Lune. Maintenant, ils sont tous carriéristes : qu’ils essayent à tout prix de devenir énarque ou d’entrer dans un master d’école de commerce, ces filières littéraires sont remplies de cyniques ou de désespérés.
Une dernière preuve de la décrépitude de la qualité de ces études et de ces étudiants nous vient des taux de dépression dans cette filière, bien plus élevés que dans les autres, du fait du manque de débouchés, de débouchés avec de moins bons salaires et de moins bonnes reconnaissances sociales. On comprend bien pourquoi ces filières sont boudées : personne n’a envie de finir sans le sou, dépressif et névrosé, avec trois poèmes de Baudelaire mal lus et mal commentés ou un Deuxième Sexe à peine entamé. Cliché : les étudiants en études littéraires sont donc bien souvent de mauvais élèves qui n’ont pas pu aller autre part et qui loin d’être animés par une foi littéraire, veulent simplement éviter le chômage en profitant de leur licence littéraire pour atteindre d’autres diplômes.
Les filières littéraires : des études boudées car trop élitistes ?
Des filières accessibles qu’aux classes privilégiées
En effet, on remarque que les filières littéraires sont souvent happées par des classes privilégiées qui y voient une certaine reconnaissance particulière, un intellectualisme et une supériorité dans la connaissance. Lire Hugo, décrypter Barthes ou admirer Bloch seraient des actes supérieurs à ceux de tailler le bois, de travailler le fer ou de ramasser les ordures. Les filières littéraires sont donc élitistes de part le prestige social que les individus tentent d’en tirer notamment pour accéder à ce cercle fermé des élites.
Dès lors, les études littéraires ont toujours été affiliées à un certain prestige social depuis la création de l’Académie française en 1631 et l’essor des Belles Lettres françaises aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les étudiants ayant actuellement un capital culturel correspondant à celui des élites sont clairement favorisés dans ces filières compétitives mais où la connaissance des classiques est bien trop souvent une nécessité que seuls les filles et fils de ceux qui ont fait des études supérieures ont. Si les filières littéraires sont élitistes socialement, elles le sont aussi culturellement ; elles favorisent donc une claire reproduction sociale des élites.
Enfin ce qui fait que les filières littéraires ne sont accessibles qu’aux élites, c’est qu’elles ne sont pas à première vue un bon investissement. En effet, les débouchés des filières littéraires sont souvent moins bonnes que celles des autres filières, notamment en termes de salaires. Par conséquent, à court terme, seuls ceux qui ont déjà des revenus sans travailler, c’est-à-dire les classes privilégiées héritières, peuvent se permettre de mettre de côté cet aspect financier pour se consacrer à la gloire du savoir. Là aussi, le côté oisif des études littéraires qui n’ont pas d’impact direct sur nos sociétés et n’ont donc pas une forte valeur salariale, en font des études élitistes au sens économique.
Dès lors, on comprends que les études littéraires sont l’apanage des élites où elles entretiennent leur prestige social, confisque une certaine culture qu’elle mette en avant comme étant supérieure aux autres (alors que personnellement, j’ai beaucoup plus appris sur la vie en regardant Malcolm sur W9 tous les weekends de ma jeunesse qu’en lisant Les Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand) et la rende inaccessible économiquement.
Un niveau trop (peu) exigeant
Cela entraîne le paradoxe suivant : les études littéraires sont élitistes donc attractives mais elles sont boudées par les jeunes. Cependant, elles ne sont pas boudées par les jeunes des mêmes classes sociales, elles sont loin d’être boudées par les jeunes issus des classes favorisées mais aussi par les jeunes issus de milieux militants qui voient encore dans la sociologie, la géographie ou l’histoire des bases pour militer au sein des milieux féministes, LGBTIQ+ ou anti-racistes voire à l’inverse, dans certains milieux fascisants. Cependant, ces milieux militants semblent être un fantôme de la gloire passé des filières littéraires qui servent encore en revanche à la reproduction sociale des élites.
Dès lors, si on va faire un tour à la fac, on y retrouvera majoritairement des jeunes de classes moyennes ou moyennes supérieures qui sont allés en filière littéraire après un bac littéraire sans trop savoir ce qu’il voulait mais en sachant pertinemment ce qu’ils ne voulaient pas faire, bien souvent tout ce qui se rapproche de peu ou de moins des mathématiques. Le niveau n’y est donc pas très exigeant car il accepte une partie de la population qui, par sa socialisation, n’a souvent pas la culture ni la prétention pour des études littéraires approfondies.
Cependant, à l’inverse, dans certains centres de recherche post-licence ou post-prépa comme l’EHESS, les ENS ou les masters sélectifs de la Sorbonne, tous très centrés sur Paris, le niveau est beaucoup trop exigeant : on y retrouve que des fils de personnes déjà très bien éduqués, bien souvent des fils de professeurs et/ou des catégories socio-économiques favorisées. Pour autant, les métiers de chercheurs et de professeurs agrégés, débouchés principaux de ces filières littéraires (trop) exigeantes, ne sont même pas valorisés dans nos sociétés : leur salaire est loin d’être à la hauteur de leur apport sociétal en termes d’éducation et de savoir. Dès lors, ces filières littéraires exigeantes sont boudées par les étudiants issus de milieux favorisés qui préfèrent aller en école de commerce après plusieurs années préparatoires littéraires, plutôt que de poursuivre des études littéraires.
La filière littéraire boudée par les étudiants : ne serait-ce pas une bonne chose ?
Cela confirme la difficulté de ces filières
En définitive, peu importe l’origine sociale des étudiants, les études littéraires sont élitistes par rapport à leur niveau d’exigence. Elles sont aussi élitistes par rapport aux sacrifices personnelles qu’elles demandent, comparées aux filières scientifiques ou commerciales qui apportent des profits matériels directs à leurs étudiants.
Par conséquent, le fait que ces filières soient boudées est certainement une bonne chose : cela montre premièrement que tout le monde ne peut pas s’improviser bon lecteur d’Eluard ou de Bataille ou bon lecteur des archives de l’Inquisition du XVème siècle uniquement accessibles au Vatican en latin médiéval.
Il faut du temps, de la patience et du talent pour étudier ces matières et seule une poignée d’élèves en sont capables. Les autres ne leur sont pas du tout inférieurs, simplement c’est loin d’être leur tasse de thé, d’un thé très corsé qui est loin de satisfaire quelconque de vos plaisirs. En témoignent les mutuelles de professeurs qui remboursent à 100% les séances chez les psychologues.
Cela illustre un système éducatif trop centré sur les filières classiques
Deuxièmement, cela montre l’incohérence du système éducatif français : rien ne sert de proposer des matières comme l’histoire ou les lettres à des jeunes gens qui vont finir en marketing ou en communication. De plus, il serait bien plus utile de favoriser davantage les filières techniques : arrêtons cette hiérarchie des savoirs, comme si aller à l’université rendait les jeunes plus intelligents ou plus qualifiables.
Cela se voit dans l’éducation mais touche l’ensemble de la société qui continue de hiérarchiser les savoirs pour justifier les inégalités alors qu’en réalité qui est le plus utile à la société entre un éboueur qui s’assure de la propreté d’une ville et un financier qui s’amuse à manipuler l’argent de tout un chacun ? 2008 a certainement répondu à cette question mais nous sommes tous de mauvais élèves qui ne sachons pas revenir sur nos erreurs de fond.