Le rap : l’expression des minorités
Un marqueur social
Si les bas quartiers de Brooklyn ont vu naître le rap comme le genre musical contestataire des communautés noires pauvres, son renouveau en France semble avoir pris source dans une souche sociale similaire. En effet, les jeunes gens issus de l’immigration, enfermés dans les grandes tours de leurs quartiers de banlieues, rejetés en périphérie des grandes villes, expriment dans le rap leur désarroi face au manque de perspective d’avenir. C’est donc avant tout l’expression d’un rejet social, symbolisé par un rejet géographique et reconfiguré dans un rejet linguistique puisque les chanteurs de rap français se sont réappropriés la langue française pour en faire la leur.
Par conséquent, faire du rap français dans les années 1980-1990, c’est appartenir à cette minorité cloîtrée par la société et s’en sentir exclu. Dès lors, le rap est bien un marqueur social, celui d’une société populaire qui n’est plus celle ouvrière ou paysanne, mais celle des quartiers, des « petits jobs », de l’uberisation, du « précariat » mais aussi des trafics illégaux.
Le texte de rap, une arme politique des minorités
Si le rap est marqué socialement par cette population immigrée ou fils et filles d’immigrés rejetés par la société française dans des quartiers politiques, il devient donc le moyen de dénoncer ces discriminations notamment au travers de ses textes. En effet, la musique de rap étant avant tout une parole qui joue sur les rythmes et la prononciation et moins sur la mélodie, elle donne une importance singulière aux textes.
Prenons l’exemple du rappeur Kerry James qui met au cœur de son rap, l’écriture, et au cœur de son écriture, la dénonciation du racisme systématique en France. Il n’hésite ainsi pas à s’adresser directement aux politiques français voire au président de la République pour demander que justice soit faite et que les principes républicains soient réellement appliqués sur le territoire français.
Le texte de rap, l’arme politique de toutes les minorités ?
Cependant, si le rap a bien souvent défendu les minorités, il est aussi le porteur des maux de notre société et a bien souvent été attaqué pour son sexisme et son homophobie et pour la violence et la vulgarité de ses textes. En effet, les chanteurs de rap français sont presqu’exclusivement des hommes qui n’hésitent pas à voir dans la femme, un objet sexuel, et qui prônent la violence comme une caractéristique propre à la virilité.
Prenons le cas d’Orelsan et des procès que lui ont imputés diverses associations féministes notamment pour son morceau « Sale pute ». On y voit un jeune homme ivre qui prône la violence contre une femme qui l’a trompé. Cependant, Orelsan a gagné ses procès au nom de deux principes : premièrement, la liberté d’expression. Secondement, il ne voit pas le rap comme un genre musical particulièrement sexiste mais simplement représentatif d’une société qui l’est.
Par conséquent, le rap n’est le moyen revendicatif que d’une minorité sociale : qu’elle soit coincée dans une tour de quartier ou dans un périurbain de banlieue en contreplaqué, elle est masculine, immigrée et/ou pauvre. Cependant, depuis les années 2000, on ne peut que constater qu’il a élargi son public au point de devenir le genre musical majoritaire en France.
Le rap : moyen d’expression majoritaire
Le succès du rap : un genre perméable
En effet, le succès du rap tient en peu de choses. Premièrement, tout le monde peut en faire : pas besoin d’éducation musicale classique pour écrire un texte et le « poser » sur une musique instrumentale. Dès lors, n'importe qui peut en faire, notamment les jeunes, chez qui le genre est particulièrement populaire.
Deuxièmement, le rap, par le fait que ce soit un genre musical parlé, est très ouvert aux autres genres musicaux. Il peut ainsi intégrer des passages chantés et des musiques instrumentales de jazz, de rock, de musique classique ou populaire. On peut penser à la reprise de Mistral Gagnant par Booba qui en utilise la musique instrumentale dans son titre à trente millions de vues sur YouTube : « Pitbull ». En une trentaine d’années, le rap se diversifie et s’affirme comme le genre musical dominant en France.
La domination du rap : un genre populaire
En effet, la musique de rap a de nombreux sous-genres qui peuvent plaire à tout le monde et qui ne concerne plus uniquement les jeunes hommes de banlieue. C’est un genre musical qui est devenu “mainstream” (courant). Il ne représente plus seulement une minorité sociale et politisée mais il est devenu le vecteur culturel majoritaire de la langue française au XXIème siècle.
Dès lors, le rap a fait de la langue française une véritable machine à sous, avec des textes qui parfois ne veulent plus rien dire comme « Toi hors de ma vue » dans « Anissa » de Wejdene qui comptabilisent des millions de vues sur YouTube et empochent des millions d’euros sur son compte en banque. A l’inverse, ce sont aussi de nouveaux poètes de la langue française comme Damso ou Youssoupha qui se font connaître grâce à l’émergence du rap. La domination du rap est donc à double tranchant : elle est capable de promouvoir le pire comme le meilleur...
Le rap, nouvelle lingua franca au sein de la francophonie ?
Le succès du rap tient aussi du fait qu’il soit à l’origine le langage d’une population immigrée. En effet, cette dernière fait le pont entre la France et ses anciennes colonies, notamment africaines, qui constituent aujourd’hui, la plus grande partie de la francophonie mondiale. Dès lors, la version linguistique du français que le rap diffuse est celle qu’utilise une grande partie de la francophonie au sein d’échanges familiaux, personnels et culturels.
Prenons l’exemple d’Aya Nakamura : elle est l’artiste francophone la plus écoutée au monde. Elle est bien sûr écoutée dans les pays francophones mais également dans toute l’Europe et aux Amériques. Dès lors, le français qu’elle diffuse est empreint de mots en bambara puisqu’elle est d’origine malienne mais aussi de lingala, d’arabe et d’autres langues africaines qui ont des influences linguistiques sur le français, en particulier la version utilisée par les chanteurs de rap français. Quelle est donc cette nouvelle version du français que le rap diffuse ?
L’apport linguistique du rap et la diffusion d’une nouvelle version du français
L’américanisation du français
Revenons aux origines américaines du rap issu d’une culture raciale et libérale, comparable mais non similaire à la nôtre. En effet, le rap aux Etats-Unis est empreint d’un vocabulaire lié aux communautés noires. On ne peut nier dès lors que le rap français transpose une réalité qui n’est en partie pas la nôtre en France, en parlant notamment de ghetto ou de ségrégation raciale. Cependant, le rap français s’inspire de cette réalité pour raconter le racisme vécu et interprété différemment en France qu’aux Etats-Unis, beaucoup plus lié au passé colonial français et à l’immigration africaine.
Au-delà de cette influence thématique du rap américain sur celui français, c’est l’influence linguistique qu’on retient. Cela passe notamment par l’américanisation de notre vocabulaire et de notre grammaire qui est bien souvent inconsciente. Si vous voulez mieux la constater et vous remettre à niveau en français, vous pouvez suivre la formation OrthographIQ qui vous propose une formation en ligne, courte et efficace, pour combler vos lacunes linguistiques et vous assurer ainsi une meilleure maîtrise du français.
Un moyen d’expression au cœur du multiculturalisme
Par conséquent, au-delà de son combat contre le racisme systémique en France, le rap est surtout devenu l’expression d’une nouvelle société française, de plus en plus multiculturelle et tournée vers ses origines multiples. On peut le constater par exemple par le choix des noms des rappeurs comme Polak qui s’appelle ainsi car il est polonais.
Dès lors, linguistiquement, cela permet au français de recevoir beaucoup plus de diversité et d’innovations : le vocabulaire quotidien des jeunes en France est empreint d’arabe, de lingala, de swahéli, etc. De plus, le rap reprend aussi beaucoup aux vieux dialectes français dont le vocabulaire et la grammaire sont souvent tombés dans les parlers populaires qui ont aussi beaucoup influencé les quartiers de banlieues. Prenons l’exemple du terme « bicrave » qui vient de l’argot lorrain et signifie « commercer, échanger ». Il a été repris par le rap des quartiers pour exprimer la vente de drogues.
La musique de rap, une poésie ou science du rythme ?
Si le rap arrive à être un langage multiculturel, c’est qu’il est propice à la création linguistique. Or cette quête de l’ineffable et de la création est aussi poursuivie par la poésie ; ce qu’on retrouve dans les origines mêmes du rap : « Rythm And Poetry ». La poésie du rap se retrouve aussi dans son origine musicale qui fait chanter la raison et parler les sens.
Dès lors, le rap se trouve bien dans des entre-deux : davantage qu’un genre musical, c’est un support artistique car il sert aussi bien la musique que la littérature et s’intègre dans différents genres littéraires et musicaux. Il gomme ainsi les barrières entre eux et permet à tout à chacun d’y créer son propre univers, d’y exprimer n’importe quel sentiments ou pensée. Pour cela, le rap se veut le support lyrique par excellence et se définit donc avant tout comme une poésie et une science du rythme.